L’aventure SDR
L’aventure SDR (Rhizotomie Dorsale Sélective) !
J’ai découvert cette opération durant l’hospitalisation d’Esteban en février 2016 lorsque nous avons eu son diagnostic. Depuis, je n’ai cessé de récolter toutes les informations sur celle-ci, de lire les témoignages des parents mais aussi des adultes opérés, de voir les vidéos des changements, de comprendre les techniques médicales, de lire les publications en anglais, d’assister à une conférence…Durant 3 ans, nous avons réfléchi à ce projet !
Les démarches
J’avais contacté la secrétaire du Professeur Haberl par mail le 2 janvier 2019.
L’opération nous faisait peur mais on savait qu’on devait la faire.
J’étais restée sur la conférence qu’il avait tenue en 2016 à propos du niveau moteur que l’enfant doit avoir et j’avais toujours l’impression qu’Esteban n’était pas à niveau, d’autant plus que les médecins ici n’y étaient pas favorables. Nous avions rencontré le médecin de rééducation physique (MPR) fin novembre 2018 qui nous avait enfin dit que la SDR pouvait être une bonne option mais pas pour tout de suite, et elle nous avait programmé des injections de toxines fin janvier avec un mois de rééducation à l’issue pour assouplir au maximum les jambes d’Esteban. À cette époque, ses hanches étaient plutôt belles et j’ai compris bien après que la SDR dont notre MPR parlait n’était pas la même.
Du coup, consciente que les procédures sont souvent longues, et avec l’envie d’avancer pour Esteban, j’avais envoyé ce mail comme une résolution de nouvelle année. Un mail composé de plusieurs vidéos d’Esteban marchant jambes découvertes et pieds nus, ainsi que tous les comptes rendus du MPR, du Neurologue et du CAMSP, et bien sûr le compte rendu de l’IRM du cerveau d’Esteban réalisé en février 2016.
Quinze jours plus tard, je recevais une réponse me demandant mon numéro de téléphone pour fixer le rendez-vous en Allemagne. J’étais aux anges.
Nous avons convenu d’un rendez-vous fin avril bien que de nombreux rendez-vous étaient disponibles avant, mais il fallait évaluer Esteban à distance des injections qui étaient prévues fin janvier.
Esteban a bien progressé suite aux injections et surtout parce qu’à Bois-Larris, ils ont bien travaillé sur le renforcement et la position du tronc, l’objectif était de le faire marcher correctement en déambulateur.
Entre fin janvier et mars, j’ai appris qu’un neurochirurgien français pratiquait la SDR single level à Paris. Je pensais ne pas pouvoir avoir de rendez-vous avant la consultation pluridisciplinaire du professeur Haberl mais c’était sans compter Doctolib. J’ai eu un rendez-vous la semaine juste avant celui du Professeur Haberl. Une chance !
Voilà, au moins, si les deux avis étaient concordants, ça voulait dire que nous allions dans la bonne direction. Le Professeur Haberl voulait une radio des hanches récente donc nous en avons refait une en avril.
Le rendez-vous avec le Docteur J. à Paris s’est très bien déroulé. Il a examiné les jambes d’Esteban pour noter la spasticité (qui était déjà revenue depuis les injections, soit 3 mois) et en 15 minutes, il a conclu par : « c’est le candidat idéal pour une SDR ». Il avait l’intention de l’opérer et allait nous recontacter rapidement. Avant de sortir de notre entretien, je lui ai demandé de m’expliquer sa technique, notamment à quel niveau il coupe les fibres, car de nombreux commentaires allaient bon train sur internet concernant la SDR qu’il pratiquait. Il a fait un schéma très rapide sans vraiment répondre à ma question et nous avons dû sortir.
Nous étions heureux car Esteban allait être opéré rapidement et tout allait être pris en charge par la sécurité sociale, ce qui nous enlevait une sacrée épine du pied ! En plus, l’opération se déroulerait à Paris, donc pas trop loin, et la rééducation à Bois-Larris. Nous étions sur un nuage !
Mais, je voulais quand mème voir le Professeur Haberl la semaine suivante pour savoir s’il était du même avis.
D’autres part, j’avais beaucoup plus de retour de parents d’enfants opérés par le Professeur Haberl que par le Docteur J. , et je n’arrivais pas à avoir les derniers détails sur sa technique.
Nous avons pris la route le dimanche après-midi pour Bonn, pour un rendez-vous le lundi à 14 h. Esteban était malade, il avait une otite et il était sous antibiotiques depuis le samedi (merci SOS Médecins). Nous avons dormi à l’hôtel puis nous nous sommes rendus à l’hôpital pour le rendez-vous. Évidement, la secrétaire du neurochirurgien n’était pas là (elle parle couramment français) mais nous avons fini par nous faire comprendre même si l’anglais n’est pas leur point fort.
Esteban avait retrouvé une pêche phénoménale pour l’entretien et il était content de pouvoir se dégourdir. Alors il est entré avec son déambulateur dans la pièce, fier et motivé. Il y avait plusieurs personnes pour l’évaluer. Nous ne parlons pas allemands et nous n’avons pas vraiment compris qui était qui mais il y avait le Professeur Haberl, le chirurgien orthopédique, et deux paramédicaux, (psychomotricien, ergothérapeute ou kiné). Nous avons mis Esteban sur le tapis de sol et en 5 minutes il a montré tout ce qu’il savait faire, il a aussi joué au ballon avec une des personnes présentes mais aussi avec le Professeur lui-même.
Il les a séduits notamment par sa motivation à faire du 4 pattes même si cela était difficile !
Nous avons discuté avec le Professeur Haberl mais lorsque celui-ci a vu les radios des hanches, il a changé de visage. C’est le chirurgien orthopédique qui a pris le relai. Il nous a beaucoup parlé en allemand, en pointant différentes zones sur les radios des hanches. Il a fait des calculs et comparé avec celle de novembre et l’essentiel a été traduit par le Professeur. Le message était clair, les hanches étaient subluxées à 80 % et elles pouvaient se luxer à n’importe quel moment. Le problème était de savoir s’il fallait opérer d’abord les hanches ou faire la SDR. Si on opérait d’abord de la SDR, les hanches allaient-elles tenir pour la rééducation post-op ? Si les hanches se luxaient après, la rééducation serait impossible et tous les espoirs de progression seraient anéantis. Une chose était sûre, la SDR était plus qu’indiquée, mais le Professeur hésitait longuement. Nous étions sonnés et déçus car s’il fallait opérer d’abord les hanches, la SDR ne pourrait alors se faire que dans plus d’un an. Et nous devrions alors continuer les toxines en attendant, sans compter que les chirurgies orthopédiques sont douloureuses et qu’elles entament la confiance des enfants. Il a longuement réfléchi avec le chirurgien orthopédique. Aucun ne voulait vraiment se prononcer… Puis le Professeur Haberl a dit : « si on fait la SDR, il faut que je l’opère vite ! »
L’entretien se terminait et il nous recontactait plus tard pour nous donner une date pour la SDR, mais avec ce besoin de réfléchir encore un peu au sujet des hanches. À partir de là, 29 avril, cela a été une attente angoissante…
Oui, parce qu’entre temps, le schéma du Docteur J. me faisait faire des cauchemars. Je menais une enquête sur sa technique opératoire. Il y avait quelque chose qui clochait sur son schéma… A force de chercher partout, j’ai fini par comprendre que le Docteur J. ne coupait pas les fibres au même endroit que le Professeur Haberl qui avait été formé par le précurseur de la SDR single level, le Docteur Park, aux USA. J’ai également réussi à avoir le témoignage d’un parent qui a fait opérer son enfant par lui. Et les mots : « la spasticité est quand même encore là » ont beaucoup résonné dans ma tête. Alors que Haberl et Park, ainsi que les parents d’enfants opérés par eux, disent que la spasticité est quasi nulle après l’opération.
Nous avons hésité longuement et j’ai choisi le Professeur Haberl ! C’était assez clair que l’opération à Paris était différente et que le résultat n’était pas celui que nous voulions. Nous avions un doute sur la technique de Dr J. et il ne semblait pas disposer à nous en parler.
Même si évidement le côté financier était un gros frein. Je ne voulais pas que ce point entre en compte, il fallait penser au meilleur, au plus rapide et pas au moins coûteux, car une santé, une vie, n’a pas de prix !
L’attente
Entre temps, mi-mai, je recevais un mail de la secrétaire du Professeur qui me disait qu’elle allait m’appeler … Mais les jours passaient et rien ! Ce fut une très grosse angoisse pour moi, car j’avais besoin de savoir, de pouvoir prévoir mais rien … De notre côté, j’espérais tous les jours que les hanches tiennent.
Puis j’ai reçu un mail pour me demander si en août ça irait. Puis l’attente de nouveau d’un appel pour fixer une date.
Une attente intense car nous étions fin mai, et août c’était « demain ». Il fallait que je m’arrange pour mon travail, que j’annule la rééducation en Pologne d’août, que je réserve les logements sur place, que je planifie la rééducation post SDR, que je puisse avoir un rendez-vous avec le pédiatre et que j’en parle a son MPR. Et surtout, il fallait trouver l’argent.
Un jour, j’en ai eu marre d’attendre et je me suis débrouillée pour obtenir le numéro de la secrétaire en Allemagne, j’ai donc appelé et elle a répondu !
Et là, elle m’a dit qu’ils avaient longuement parlé d’Esteban et qu’elle avait enfin eu l’aval de donner une date si les hanches tenaient jusque-là évidement. On est début juin et elle nous donne la date du 6 août soit dans 2 mois… Deux mois pour tout organiser, prévenir nos employeurs respectifs et les médecins. Deux mois pour trouver 15 800 €.
Durant ces 2 mois, c’était difficile de se concentrer. Mon cerveau était en surchauffe et constamment déstabilisé par les réflexions des autres. Oui, car demander de l’aide ce n’est vraiment pas chose aisé, c’est même assez honteux pour ma part. Mais nous n’avions pas le choix face au système français qui ne propose pas grand-chose pour nos enfants. La sécurité sociale refuse de rembourser cette opération sous prétexte que la même existe en France. Or, nous avons beau lui expliquer que l’opération est bien différente, que les résultats sont incomparables, Non, elle s’obstine ! Et nous n’avions aucunes nouvelles du Dr J. qui devait nous recontacter rapidement… C’est vrai, nous ne sommes pas médecins… Mais pourquoi aller à l’étranger plutôt qu’en France ?
Nous avons pu constater qu’en France, le dialogue est difficile. La médecine, le corps médical, ont un ego surdimensionné ! Ne regardant que leur propre nombril, le corps médical ne se questionne pas sur l’étranger ou ne se l’autorise pas ? Pourtant, nous parents, nous souhaitons le meilleur et nous voulons réfléchir ensemble à des solutions …
J’ai fini par arrêter de me torturer parce que tenir face à une horde de cerveaux étriqués ne servait qu’à m’épuiser !
J’ai bouclé toute cette paperasse et je n’ai rendu de compte à personne. J’ai tout mis en route le plus rapidement possible, j’ai pu décaler les dates de mes congés pour son opération et son papa aussi. On a aussi la chance d’avoir un super pédiatre qui adore Esteban, qui était autant stressée que nous pour cette opération, mais sur qui on pouvait compter pour tout. Et enfin, la MPR nous a soutenus également et proposé de prendre Esteban en rééducation post-opératoire à Bois-Larris.
Nous étions donc plus sereins et confiants. Mais il fallait préparer Esteban. Et finalement, il a super bien réagi, il était même content. Il savait exactement ce qu’on allait lui faire. Et il le disait.
Durant tout le mois de juillet, nous étions stressés à cause des microbes. Esteban y est très sensible et nous savions qu’au moindre virus, l’opération serait annulée.
Nous avions deux épées de Damoclès au-dessus de nos têtes : les microbes et les hanches.
Deux semaines avant l’opération, Esteban a fait une invagination des intestins qui s’est dénouée seule…Heureusement !
Évidemment, nous ne voulions pas qu’il soit opéré coûte que coûte au détriment de sa santé. Mais c’est vrai qu’après tant d’organisation, nous ne voulions pas que l’opération soit reportée et à quand ? 6 mois, 1 an ? Les hanches ne tiendraient pas …
L’opération
Nous sommes partis le dimanche 4 août à Bonn. Le lendemain matin, nous avions rendez-vous à l’hôpital pour les examens préopératoires. Il a fallu signer tout un tas de décharges et les risques nous ont été cités plusieurs fois. Nous avions peurs mais il fallait le faire pour son avenir.
Le mardi matin à 7h15, les infirmiers ont apporté un petit médicament pour le relaxer. Puis, nous avons pu l’accompagner au bloc opératoire et rester avec lui jusqu’à la dernière minute. Esteban était très détendu, il a adoré faire un tour en lit roulant, il s’est même amusé à se cacher sous le drap. Il a posé quelques questions aux anesthésistes et il voulait le même chapeau. Au moment de partir, il m’a donné sa tétine.
A 13h10, l’anesthésiste nous a appelé pour nous dire de venir au bloc, l’opération était terminée.
Nous sommes allés devant le bloc et nous avons attendu longtemps. Puis le Professeur Haberl est sorti l’air éreinté de ses 4 heures d’opération. Il nous a dit que tout c’était très bien déroulé, les constantes d’Esteban avaient été particulièrement stables tout le long de l’opération (qui l’aurait cru pour un ex-prématuré ?). Au niveau de l’opération, il a vraiment pu discriminer facilement les fibres les plus en cause dans sa spasticité, il en a retiré entre 70 et 80 %. Il n’y a eu aucune hémorragie ni perte de liquide céphalo-rachidiens.
Ensuite, nous avons patienté une bonne heure avant de pouvoir le voir.
Il était scopé, ses constantes étaient bonnes, il était encore endormi. On a pu discuter avec l’anesthésiste qui a été vraiment très rassurante et gentille. Puis il s’est réveillé en pleurant, très certainement perdu, groggy de l’anesthésie.
L’anesthésiste lui a donné un petit calmant puis nous avons pris une ambulance direction la clinique pour enfant en centre-ville. Papa nous a rejoint en voiture.
Finalement, Esteban n’a même pas vraiment compris qu’il était dans l’ambulance, pourtant le gyrophare et le deux tons étaient en fonction. Il aurait été aux anges.
Il s’est réveillé doucement et sans trop pleurer. Esteban était sur le dos, les jambes complètement écartées, les pieds joints en position de grenouille. Il n’a pas manifesté de douleur pour la première journée, il était fatigué et encore sous l’effet de l’anesthésie. Il n’était pas apeuré des perfusions, ni du scope. Nous étions très étonnés de le voir si serein après tout ça. Il se révélait être un grand garçon tout d’un coup. J’ai dormi avec Esteban durant tout le séjour et papa revenait tous les matins.
Esteban était très sensible à l’effleurement sur tout le bas du corps si bien qu’il est resté tout nu sans couverture pendant les 3 premiers jours. Il avait aussi une sonde urinaire et c’est ce qui l’embêtait le plus. Nous n’avons pas pu le prendre dans les bras durant les 4 premiers jours à cause de tous ces « fils » : perfusion aux deux mains, cathéter épidural (dans la moelle épinière) et la sonde urinaire. Du coup, nous n’avons pas pu nous rendre compte des effets durant ces premiers jours.
La deuxième nuit, Esteban a très mal dormi ! Pas de chance, à ce moment-là, une petite fille française qui avait été opéré le mercredi partageait la chambre avec lui… Il avait très mal à la gorge suite à l’intubation.
Les premiers jours, le cathéter épidural délivrait des analgésiques en continu et il avait un autre antidouleur par perfusion toutes les 2 h. Esteban était finalement peu douloureux et tout ceci a pu être diminué rapidement. Il devait rester sur le dos, puis petit à petit, il a eu le droit de se tourner sur le côté mais il était très craintif aux mouvements. Il devait se tourner en bloc, la colonne vertébrale ne devait pas faire de torsion. La vendredi matin, nous avons pu lui retirer la sonde urinaire ainsi que le cathéter épidural ce qui lui a fait très mal. Puis une fois que la vessie a retrouvé ses fonctions, nous avons été transférés dans un autre service du CHU. Juste avant le départ, j’ai remis une couche à Esteban et j’ai passé une lingette sur ses fesses. Il m’a demandé : « c’est quoi ça ? », j’ai répondu : « une lingette », lui : « non, ça ? » Moi : « Quoi ? Tes fesses ? », Esteban : « Oui, frotte encore, ça gratte ! » J’ai réalisé à ce moment que peut-être il n’avait jamais senti ses fesses ou du moins qu’il les découvrait autrement que c’était nouveau pour lui.
Esteban a pu faire un tour en ambulance, il était très content même s’il avait mal au dos dans le brancard.
Dans le nouveau service, c’était plus cool. Esteban était libre, il n’avait plus besoin d’antidouleur et c’est là qu’il a eu le droit de s’asseoir vraiment quelques minutes au départ. Il se tenait bien droit comme un i, tellement beau ! Il avait peur d’avoir mal mais tout ça s’est vite dissipé. Nous avons pu le prendre un peu sur nos genoux. Et c’est là qu’on a pu sentir que la tension dans son corps n’était plus là. Il était souple des jambes, notamment ischios et adducteurs mais aussi des pieds au niveau de la plante et des orteils. C’était incroyable !
Le professeur Haberl venait tous les jours prendre des nouvelles de ses petits patients. C’est quelqu’un d’assez impassible, calme et posé, mais nous avons pu voir plusieurs sourires amusés et de satisfaction sur son visage. Il nous a dit à plusieurs reprises qu’il était vraiment très content de l’opération sur Esteban, finalement le pari de la SDR avant les hanches était sans doute juste ? Et il répondait à toutes nos interrogations.
Un jour, il s’est approché d’Esteban pour lui dire bonjour et lui demander comment il allait. Esteban ne voulait pas répondre. Alors il lui dit : « tu as perdu ta langue ? », Esteban se tourne vers lui, dérouté, et lui dit tout en tirant la langue : « nan, elle est là » et la montre du doigt, puis il renchérit au Professeur : « Et toi elle est où ta langue ? Hé. Héééé » Le Professeur amusé est parti voir la petite patiente dans le lit d’à côté.
Esteban a repris très vite son élan habituel, il s’est même mis à 4 pattes seul pour se mettre à genou, ce qu’il faisait rarement et toujours en se tétanisant. Les infirmiers ne demandaient plus s’il allait bien tellement on l’entendait parler depuis le couloir. Il voulait aller un peu vite. Et avec une kiné, il a fait ses premiers pas. La première fois qu’on l’a mis debout, il s’est effondré. Il a eu peur et il a même dit : « je ne tiens plus debout ». Il avait compris. Puis le lendemain, parce que c’est un garçon volontaire, motivé et sans doute parce qu’il en avait marre, il a marché avec son déambulateur et avec beaucoup de soutien de ma part. Mais ses pas étaient indescriptibles, tellement beaux, détendus, écartés, facilités… Nous avons eu le droit de faire des petites sorties en poussette dans l’immense hôpital. Puis le mardi nous avons commencé à voir que la cicatrice faisait une bosse et gonflait. Après le passage du Professeur Haberl et d’autres pédiatres, nous étions rassurés. Pas de complication majeure mais Esteban réagit à la colle de suture ou au fils résorbables…
Le mercredi, nous étions sortants mais le Professeur Haberl voulait nous voir le vendredi pour contrôler la cicatrice et nous devions récupérer les attelles également.
Nous avons dormi dans un Airbnb mais nous avions prévu de rentrer le jeudi donc nous avons dû réserver une chambre d’hôtel pour la nuit du jeudi au vendredi.
Le vendredi matin, nous sommes allés récupérer les attelles puis voir le Professeur Haberl qui a vérifié la cicatrice une dernière fois et après l’avoir vu ébaucher quelques pas, nous a laissé libres de partir en nous disant qu’il était vraiment content !
Le retour à la maison et la rééducation
Nous avons pris la route vers 11h30 mais Ouille Ouille, la moindre secousse faisait souffrir Esteban. Le professeur Haberl nous a donné des pansements pour le voyage. Nous avons fait quelques pauses rapides et nous sommes rentrés vers 16h30. Esteban a pu s’allonger pour soulager son dos. La croûte de la cicatrice avait très légèrement suinté durant le voyage.
Nous sommes restés 9 jours à la maison, Esteban était fatigué et il était très pâle. Il a saigné du nez plusieurs fois, assez longtemps. Puis au fur et à mesure, il allait mieux. La croûte dans son dos était toujours présente, elle suintait de temps à autre. Je la nettoyais matin et soir avec de l’eau et du savon. Esteban ne pouvait pas prendre de bain et nous ne pouvions pas lui donner de douche à cause de sa peur du pommeau. La cicatrice était toujours gonflée et rouge, et nous avons envoyé des photos à la secrétaire du Professeur. Le lundi 28, je l’ai emmené a Bois-Larris pour sa consultation d’entrée de rééducation. Les médecins ont bien regardé la cicatrice, qui n’était pas belle mais qui continuait de cicatriser. Et le lendemain, le taxi est venu le chercher pour l’emmener tous les jours au centre. C’est là que la cicatrice a commencé à craquer petit à petit à cause du transport et de la chaleur. Par précaution, le centre a décidé de mettre un pansement, sauf que le Professeur Haberl avait bien spécifié qui fallait laisser sécher à l’air libre. C’était compliqué, d’un côté le centre ne voulait pas que cela s’infecte et de l’autre côté, je ne voulais pas du pansement sauf pour le temps de transports. Mais ils m’avaient interdit de l’enlever. Le médecin du centre a fait pratiquer une prise de sang afin de vérifier qu’il ne faisait pas une infection. La prise de sang est revenue normale mais le vendredi soir j’ai retiré le pansement. Et c’est là que j’ai constaté l’ampleur des dégâts, la croûte était presque entièrement partie, le sillon était rempli d’un liquide blanchâtre… Âpres 1 h à l’air libre, une légère croûte s’était formée et la cicatrice était déjà plus belle. Nous avons passé le week-end à protéger et sécher cette plaie et par chance aucune infection ne s’est déclarée. Dans le même temps, j’envoyais un mail au Professeur Haberl avec les photos, qui me disait qu’il fallait faire recoudre la plaie en France ou revenir en Allemagne. Mais en France, personne ne voulait le faire… Une infection pouvait être grave, puisque localisée sur des chairs en cicatrisation, les bactéries pouvaient facilement passer dans la moelle épinière. Esteban a été très courageux et il a très bien écouté. Le lundi matin la cicatrice était vraiment mieux et le Professeur Haberl a jugé inutile de faire recoudre.
La cicatrice a été sous surveillance pendant tout le séjour à Bois-Larris. Finalement, il n’y a pas eu d’infection, pas besoin de retourner en Allemagne mais il a fallu beaucoup de patience et de soins quotidiens. Esteban n’a pas pris de bain pendant 56 jours … et bien que la cicatrice soit fermée et sans croûte, elle reste très rouge et moche. Mais voilà, personne ne pouvait anticiper qu’il allait faire une réaction allergique. Durant toute cette période, nous avons pu échanger par mail avec notre pédiatre qui était en vacances, afin qu’elle suive l’évolution de la cicatrice d’Esteban.
Une fois le risque d’infection écartée et le délai de non mobilité pour sa colonne vertébrale terminé, la rééducation a pu augmenter.
Esteban partait le matin en taxi à 7h45 et il revenait vers 16 h. Cela faisait tôt pour lui le matin mais il était content de retrouver David son taxi ! C’était une nouvelle organisation pour nous et nous avons dû faire appel aux grands-mères pour récupérer Esteban le soir.
Il était très content d’aller à Bois-Larris, il s’y sentait bien, comme chez lui. Il fait tourner en bourrique les thérapeutes et les aides médicales mais tout le monde connaît son petit caractère de cochon et personne ne le laisse faire.
Nous avons fait plusieurs points durant le séjour d’Esteban au centre.
Du point de vue de la rééducation, je n’ai pas pu voir ce que les praticiens faisaient avec lui. Mais j’avais tout le loisir de découvrir ce qu’il pouvait faire de nouveau chaque jour.
J’ai observé beaucoup de progrès en manipulations et encore en langage.
Pour le bas du corps, Esteban a un problème de syncinésies sur les pieds. Ce qui fait que ses pieds étaient complètement de travers. Mais au fur et à mesure de la rééducation et de la marche, ses pieds se mettaient de mieux en mieux et la mauvaise position s’est très nettement atténuée.
Au bout de deux mois, Esteban a repris son niveau avant SDR, c’est-à-dire qu’il pouvait de nouveau marcher seul avec son déambulateur. Il a aussi acquis de nouvelle compétence, et repris beaucoup de confiance en lui. Avant, il se tétanisait à chaque mouvement nouveau, ce qui le déséquilibrait beaucoup. Il faut imaginer que lorsque vous voulez faire un mouvement volontaire, par exemple lever une jambe, la spasticité contracte soudainement vos muscles n’importe comment et soit vous ne pouvez pas réaliser le mouvement tout court, soit vous le faites mal et surtout cela vous surprend comme si vous étiez déséquilibré par une personne invisible. La position de ses jambes et leur souplesse sont désormais incomparables.
Tout ne s’est pas amélioré d’un coup, car le cerveau d’Esteban vivait avec la spasticité, donc y était habitué et faisait des mouvements avec cette spasticité. La rééducation a été primordiale car sans, cette opération ne sert qu’à « détendre » mais ne permet pas de rééduquer. Une fois libéré de cette spasticité, Esteban a pu apprendre autrement et correctement les mouvements même s’il est difficile pour lui de perdre la façon dont il a appris avec la spasticité. Il doit désormais tout réapprendre et continuer la rééducation. Les bénéfices d’une telle opération se mesurent en années.
Trois mois après, il se sent mieux, plus libre de ses mouvements, il ose plus et il aime bouger. Son sommeil s’est très nettement amélioré mais pas tout de suite car il avait encore beaucoup de crampes la nuit. Son transit est meilleur. Esteban a également grandit de 2 cm, pris 1 kg en 3 mois alors qu’il n’avait pas pris 1 g depuis février soit 6 mois et il a pris 2 tailles de chaussures.
Maintenant, il reste encore beaucoup de choses à travailler, mais nous n’avons qu’un seul regret celui de ne pas l’avoir fait opérer plus tôt !